jeudi 24 avril 2014

Encore cette théorie fausse du "food pairing"

Ce matin, je reçois le message suivant :

Selon vous, la théorie du food pairing n'est pas scientifique ;  vous dites qu'elle n'est pas réfutable. Pourriez-vous m'expliquer plus précisément votre point de vue ?
Bien qu'elle ne soit pas scientifique, que peut apporter, selon vous, cette méthode aux professionnels des métiers de bouche ?
Ayant un Bac scientifique et un DUT dans le domaine mécanique, physique et thermique, j'ai toujours eu pour habitude de comprendre et de croire en un phénomène seulement avec des preuves bien concrètes. Mais il est vrai que plus j'ai cherché à comprendre ce concept du food pairing, plus j'étais perdue et trouvais des contradictions. Par exemple, des recettes "foodpairing" avec des ingrédients qui étaient compatibles à 7% (ce qui pour moi contredit le concept en lui-même).

Ma réponse :
Une théorie, c'est un discours. Et il y  a des théories de divers types. Parmi toutes les théories, les théories scientifiques sont particulières, en ce qu'elles doivent être réfutables, disons testables : on doit pouvoir produire une "conséquence", que l'on peut tester par une expérience, en vue d'aboutir à un résultat qui montre en quoi la théorie est fausse, disons insuffisante.
Parce que la science de la  nature, il faut le dire, ne produit que des théories insuffisantes, par nature, et les (bons) scientifiques savent bien que des modèles réduits de la réalité ne soont pas la réalité.
Bref, dés le premier abord, le food pairing se présente comme quelque chose de pas scientifique, puisque c'est une loi générale sans possibilité de réfutation.
Je le redis différemment, pour être certain d'être bien compris : pour le food pairing, c'est présenté comme une loi générale, donc a priori pas réfutable. Donc disqualifié par principe, du point de vue scientifique.

D'autre part, l'essentiel, c'est que le goût, c'est du "j'aime" ou "je n'aime pas", et que cela n'a pas de bases "scientifiques". On ne peut pas faire de loi, ou de théorie, avec des préférences. D'ailleurs, même le goût individuel change, selon les circonstances : essayez de faire manger le même plat plusieurs fois de suite à votre entourage, et, après un certain temps, les préférences changent. 
 
 
J'ajoute que le food pairing propose des associations parfaites à condition que les ingrédients aient des composés odorants "principaux" en commun. Imaginons le cas de quelqu'un qui déteste le munster : croyez vous que l'associer avec un autre ingrédient, qui aurait un composé odorant en commun suffirait à le faire manger ;-) ? 
 
Aussi, le food pairing propose une théorie générale. Or il suffit d'un contre exemple pour abattre une loi générale, et je répète que Pierre Gagnaire a fait un plat merveilleux (je devrais dire "que j'ai adoré") en mêlant l'impossible (selon e food pairing) : du camembert avec de la framboise. Un contre exemple : donc la loi générale est abattue. 
 
Achevons la bête. Le food pairing propose une théorie des "goûts que l'on aime", or le bon, c'est le "beau à manger", et toute l'histoire de l'esthétique (la théorie du beau, qui est le travail des philosophes et des historiens de l'art) montre que le beau d'aujourd'hui était laid hier. Le jazz, vers les années 1940, ce n'était pas de la musique. La poésie sans alexandrins et césure à l'hémistiche, ce n'était pas de l'art littéraire. L'impressionnisme, ce n'était pas de la peinture. Et ainsi de suite. 
Or si les goûts changent, comment l'expliquer en termes moléculaires... qui ne changent pas. 
 
Bref, la théorie du food pairing est aussi fausse qu'elle est naïve. Du point de vue artistique, elle est nulle. 

Et puis, vous parlez de composés "compatibles". Ca veut dire quoi, au juste ? 

Bref, vous avez bien raison de vous interroger, et je vous propose de ne plus perdre de temps avec ces élucubrations... qui ont été proposées, il faut le savoir, par une société qui voulait vendre ses composés odorants ("flavorings").
Ne perdons plus de temps avec la théorie fausse du food pairing, qui a leurré trop de cuisiniers.

dimanche 20 avril 2014

Faut-il avoir peur de l'acide acétique glacial ?



Il y a quelques mois une télévision étrangère est venue au laboratoire pour m'interroger sur les dangers de l'acide acétique glacial. M'interroger ? Leur insistance était en réalité claire : ces gens venaient me faire que l'industrie alimentaire mettait de l'acide acétique glacial dans les aliments, et ils imaginaient que je décrirais des dangers terribles concernant l'utilisation de ce fameux acide acétique glacial. Vous pensez : un acide, acétique de surcroît, et glacial pour couronner le tout !
On sait bien que les acides corrodent : ce produit devait donc être très dangereux... mais ils avaient oublié qu'on peut diluer les acides. Acétique ? Des syllabes tranchantes... mais ils avaient oublié -ou pire, ils ignoraient- que le vinaigre, le vinaigre normal, est vinaigre parce qu'il contient entre 5 et 10 pour cent d'acide acétique. Enfin, glacial : cela devait être glacé, glaçant.
Terrible, non ? Mes interlocuteurs auraient bien voulu que je leur dise que l'industrie alimentaire était abominable, parce qu'elle utilise ce produit : beaucoup de ceux qui combattent l'industrie, laquelle ne ferait que comploter contre le public (oubliant que c'est de l'emploi... sauf le jour où il est question de licenciements économiques), font hélas souvent la faute de confondre leur idéologie et les faits. Par exemple, je vous ai entretenu d'un imbécile qui, récemment, soutenait que tous nos aliments étaient empoisonnés, parce que l'industrie était un grand capital démoniaque (oubliant que ceux qui, dans l'industrie alimentaire, sont à l'origine des productions, consomment ces dernières).

Bref, mes interlocuteurs insistaient pour que je leur dise que l'acide acétique glacial était un produit très dangereux, employé par une industrie qui aurait voulu nous empoisonner. Dans un tel cas, il est très difficile de bien se comporter, devant la caméra, car il faut absolument éviter qu'un montage malhonnête des enregistrements ne permettent aux monteurs de sortir des phrases du discours pour leur donner un sens qui irait appuyer un a priori du réalisateur. Après tout, ne me suis-je pas déjà vu répondre, à la télévision, à un journaliste que je n'avais jamais rencontré ?
Pour en revenir à l'a priori de l'émission, quelle naïveté navrante ! Et quelle ignorance ! Ceux qui acceptent de bien rester aux faits seront heureux de recevoir ici quelques explications. Quand on laisse du vin à l'air libre, des micro-organismes de l'air viennent se poser à la surface. Le plus souvent, ils ne survivent pas, mais certains, qui sont capables de se « nourrir » de l'éthanol (l'alcool du vin) prolifèrent, si la température est appropriée. Parmi ces micro-organismes capables de « vivre du vin », certains sont les mycodermes acétiques, Mycoderma acetii, qui transforment l'éthanol en acide acétique. Et c'est ainsi qu'ils produisent du vinaigre à partir du vin.
Evidemment, ces mycodermes n'ont pas besoin du vin, et ils se développent également sur une solution d'éthanol dans l'eau. D'ailleurs, bien des pays n'ont pas de vin, mais ont du vinaigre : pensons au vinaigre de riz, par exemple.

Comment passe-t-on du vinaigre à l'acide acétique glacial ? On peut distiller (ou congeler) du vinaigre, pour en séparer l'eau d'un côté et l'acide acétique pur, de l'autre. Ou l'on peut aussi oxyder du butane, ou encore le récupérer dans la production d'acétate de cellulose, par exemple. L'acide acétique pur est nommé « glacial », parce qu'il forme des cristaux semblables à de la glace lorsque la température est inférieure à 17 degré.
Cet acide est-il comestible ? consommable ? Non : même si l'acide acétique est considéré comme un « acide faible », par les chimistes (et c'est un fait qu'il est bien plus faible que l'acide chlorhydrique, par exemple), il reste très caustique, et il faudrait être idiot pour le consommer « pur ». Pour le mettre dans un aliment, il faut le doser, afin que sa concentration devienne inférieure à celle d'un vinaigre.
Cela étant, il y a le mot « pur », qui est important, dans la phrase précédente : en chimie, un produit « pur », cela n'existe pas, et il y a toujours des « impuretés ». Celles-ci ne doivent pas être toxiques, évidemment. Mais il faut ajouter, à ce stade, que la distillation de vin ne fait pas nécessairement mieux que l'oxydation du butane. Et, enfin, ces impuretés seront finalement diluées, comme l'acide acétique glacial.
Donc oui, certaines industries utilisent de l'acide acétique glacial, parce que les services de l'Etat ont défini les conditions d'utilisations, sans risque pour les citoyens. Inversement, non, nous ne mangeons ni ne buvons pas d'acide acétique glacial, parce que l'acide acétique, une fois dans des aliments, n'est plus glacial, mais dilué... comme quand nous ajoutons du vinaigre dans une sauce mayonnaise ou dans une marinade.

dimanche 13 avril 2014

Et voici la preuve…

Ceux qui me lisent risquent de me trouver lancinant, mais je crois bonne la méthode qui consiste à justifier ce que l'on avance. C'est donc non pas pour mes amis qui lisent ce blog, mais pour les autres, ceux qui ignorent la pratique, que je veux donner l'image suivante :
EU plant proteins
Elle est bien petite, mais on trouvera la chose à l'adresse  http://ec.europa.eu/research/participants/portal/desktop/en/opportunities/h2020/topics/2330-sfs-15-2014.html.
De quoi s'agit-il ? De rien que moins qu'une justification de la cuisine note à note, puisque la Communauté européenne prévoit de dépenser des dizaines de millions d'euros pour que nous soyons collectivement prêts à consommer des protéines végétales à la place des protéines animales, que nous consommons en trop grande quantité aujourd'hui et qui viendront à manquer quand l'humanité dépassera les 8 milliards d'individus.
Produire des protéines végétales est une chose, mais il faudra les "cuisiner". Or si l'on peut ajouter des protéine végétales à un plat, il devient vite nécessaire de les utiliser comme ingrédients essentiels, et non plus accessoires, et la cuisine note à note s'impose alors absolument.
Ce n'est pas donc un "excité" qui propose la cuisine note à note, mais la Communauté européenne ! Et croyez moi : contrairement à certains, je ne fais pas de lobbying... puisque je n'ai à vendre ni produits, ni idéologie.

Acclimatons les composés : l'acide lactique.



Cette fois, partons du lait. C'est essentiellement de l'eau, avec du gras et des protéines. Toutefois, il n'y a pas que ça, et le lait a une saveur tout à fait extraordinaire, un peu douce, un peu salée, un peu minérale...
Effectivement le lait contient de tout petits objets nommés micelles, où des protéines de la famille des caséines sont cimentés par du phosphate de calcium : des ions phosphate et des ions calcium. D'ailleurs, il y a également de ces sels, et d'autres d'ailleurs, en solution dans la partie aqueuse du lait.
Toutefois ce n'est pas l'objet aujourd'hui de nous intéresser à ce contenu minéral, ces ions. Aujourd'hui, il s'agit d'évoquer plutôt l'acide lactique, qui n'est pas présent dans le lait. En revanche, quand on laisse fermenter du lait, notamment avec des ferments lactiques qui font le yaourt, ces ferments, parmi bien d'autres l'action, transforment le lactose, le sucre du lait, en acide lactique.
A l'état pur, l'acide lactique cristallise sous la forme d'une poudre blanche, de saveur acide. Pas l'acidité de l'acide citrique, ni celle de l'acide acétique, pas l'acidité … Non, l'acidité de l'acide lactique, et c'est parce que les yaourts , certains fromages, les choucroutes, les navets sûrs, etc. contiennent acide lactique qu'ils ont cette saveur délicatement acide. Acide d'une certaine façon.
Acclimatons en cuisine l'acide lactique !

Acclimatons la capsaïcine.



Dans la famille des composés piquants, il y a la capsaïcine, qui ne se confond pas avec la pipérine. Dans le poivre, le principal composé piquant est la pipérine. Dans les piments, c'est un autre composé, nommé capsaïcine. Et dans la moutarde, par exemple, c'est l'isothiocyanate d'allyle.
Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que le piquant de la capsaïcine, et celui de la pipérine, ne sont pas identiques. Si vous les goûtez, vous verrez qu'ils piquent des endroits différents de la langue et de la bouche. Aucun n'a d'odeur, car ils n'agissent pas sur les récepteurs olfactifs, mais sur les récepteurs du nerf trijumeau, ce nerf qui vient de l'arrière du crâne, et qui irrigue nez, bouche, palais. La capsaïcine est peu soluble dans l'eau, mais très soluble dans l'huile, d'où ces huiles piquantes largement présentes dans les pizzerias, par exemple. Elle se trouve surtout dans les graines des piments, raison pour laquelle les Mexicains ont l'habitude de bien séparer les graines de la pulpe externe des piments. D'ailleurs, pour caractériser le piquant des différents piments, a été élaborée une échelle, l'échelle Scoville, et c'est ainsi que l'on a longtemps rangé les piments les uns par rapport aux autres par ordre de piquant croissant.
Cela étant, il a été découvert qu'au berceau des piments, le Pérou, la même espèce ne donnait pas des fruits du même piquant du nord au sud du pays, parallèlement à une variation d'humidité : c'est une belle découverte que d'avoir compris que les plantes se protègent contre les micro-organismes par la capsaïcine ; quand il fait humide, plus de capsaïcine est présente, ce qui permet d'éviter les pourritures et autres attaques de micro-organismes.
En cuisine, l'usage de la capsaïcine est aussi simple que celui du sel ou du poivre : une pincée, et le tour est joué. Toutefois, ce qui est plus intéressant, c'est que le cuisinier moderne, qui cuisine note à note, dispose ainsi non pas d'un piquant, mais de plusieurs. Imaginez de jolis petits pots de faïence alsacienne, en grès gris et bleu, où seraient logés les divers composés piquants.
Chaque poudre a un effet particulier. Faites l'expérience de goûter divers composés piquants afin de comparer leurs effets.

samedi 12 avril 2014

L'acide citrique

Acclimatons les composés : l’acide citrique.



L'acide citrique, de quoi s'agit-il ?
Citrique, citron :  il y a la même racine, et l'on pressent une parenté. Mais la terminologie est insuffisante pour répondre à la question "qu'est-ce que l'acide citrique ?".  Partons donc de citron, puisque la piste étymologique est juste, ici. Pressons un citron, et  récupérons  le jus : c'est une solution légèrement jaune, et  acide, citronnée. Si nous évaporons ce jus, c'est de l'eau qui s'échappe, comme on peut s'en apercevoir en mettant  un verre froid  dans la fumée qui s'élève :  la vapeur  qui se condense sur le verre n'a ni odeur saveur ; c'est de l'eau.
Au fond du récipient, il reste finalement un solide cristallisé. C'est un mélange, bien sûr, car il est rare que les produits naturels soient complètement purs. Toutefois, la majorité de ce produit est de l'acide citrique (environ 6 grammes d'acide citrique pour 100 grammes de jus de citron), et l'on pourrait poursuivre la purification pour obtenir de l'acide citrique pur. On aura alors des cristaux blancs, blancs comme du sel, ou du sucre par exemple. Des cristaux qui n'ont pas odeur, mais qui ont une forte acidité, une forte saveur acide. Mieux, cette acidité est  citronnée,  contrairement à celle de l'acide acétique, par exemple, celle du vinaigre.
C'est cela, l'acide citrique, utilisé notamment par les industriels dans les bonbons au citron, et aussi par quelques pâtissiers. Le citron ne se réduit pas l'acide citrique, mais l'acide citrique est une composante importante du jus de citron.
Utilisons en cuisine (note à note) de l'acide citrique (je vous recommande un sorbet fait d'eau, d'acide citrique, une pincée de sel, du glucose et du saccharose : vous m'en direz des nouvelles).