Il
y a quelques mois une télévision étrangère est venue au
laboratoire pour m'interroger sur les dangers de l'acide acétique
glacial. M'interroger ? Leur insistance était en réalité
claire : ces gens venaient me faire que l'industrie alimentaire
mettait de l'acide acétique glacial dans les aliments, et ils
imaginaient que je décrirais des dangers terribles concernant
l'utilisation de ce fameux acide acétique glacial. Vous pensez :
un acide, acétique de surcroît, et glacial pour couronner le tout !
On
sait bien que les acides corrodent : ce produit devait donc être
très dangereux... mais ils avaient oublié qu'on peut diluer les
acides. Acétique ? Des syllabes tranchantes... mais ils avaient
oublié -ou pire, ils ignoraient- que le vinaigre, le vinaigre
normal, est vinaigre parce qu'il contient entre 5 et 10 pour cent
d'acide acétique. Enfin, glacial : cela devait être glacé,
glaçant.
Terrible,
non ? Mes interlocuteurs auraient bien voulu que je leur dise
que l'industrie alimentaire était abominable, parce qu'elle utilise
ce produit : beaucoup de ceux qui combattent l'industrie,
laquelle ne ferait que comploter contre le public (oubliant que c'est
de l'emploi... sauf le jour où il est question de licenciements
économiques), font hélas souvent la faute de confondre leur
idéologie et les faits. Par exemple, je vous ai entretenu d'un
imbécile qui, récemment, soutenait que tous nos aliments étaient
empoisonnés, parce que l'industrie était un grand capital
démoniaque (oubliant que ceux qui, dans l'industrie alimentaire,
sont à l'origine des productions, consomment ces dernières).
Bref,
mes interlocuteurs insistaient pour que je leur dise que l'acide
acétique glacial était un produit très dangereux, employé par une
industrie qui aurait voulu nous empoisonner. Dans un tel cas, il est
très difficile de bien se comporter, devant la caméra, car il faut
absolument éviter qu'un montage malhonnête des enregistrements ne
permettent aux monteurs de sortir des phrases du discours pour leur
donner un sens qui irait appuyer un a
priori
du réalisateur. Après tout, ne me suis-je pas déjà vu répondre,
à la télévision, à un journaliste que je n'avais jamais
rencontré ?
Pour
en revenir à l'a priori de l'émission, quelle naïveté navrante !
Et quelle ignorance ! Ceux qui acceptent de bien rester aux
faits seront heureux de recevoir ici quelques explications. Quand on
laisse du vin à l'air libre, des micro-organismes de l'air viennent
se poser à la surface. Le plus souvent, ils ne survivent pas, mais
certains, qui sont capables de se « nourrir » de
l'éthanol (l'alcool du vin) prolifèrent, si la température est
appropriée. Parmi ces micro-organismes capables de « vivre du
vin », certains sont les mycodermes acétiques, Mycoderma
acetii, qui transforment l'éthanol en acide acétique. Et c'est
ainsi qu'ils produisent du vinaigre à partir du vin.
Evidemment,
ces mycodermes n'ont pas besoin du vin, et ils se développent
également sur une solution d'éthanol dans l'eau. D'ailleurs, bien
des pays n'ont pas de vin, mais ont du vinaigre : pensons au
vinaigre de riz, par exemple.
Comment
passe-t-on du vinaigre à l'acide acétique glacial ? On peut
distiller (ou congeler) du vinaigre, pour en séparer l'eau d'un côté
et l'acide acétique pur, de l'autre. Ou l'on peut aussi oxyder du
butane, ou encore le récupérer dans la production d'acétate de
cellulose, par exemple. L'acide acétique pur est nommé « glacial »,
parce qu'il forme des cristaux semblables à de la glace lorsque la
température est inférieure à 17 degré.
Cet
acide est-il comestible ? consommable ? Non : même si
l'acide acétique est considéré comme un « acide faible »,
par les chimistes (et c'est un fait qu'il est bien plus faible que
l'acide chlorhydrique, par exemple), il reste très caustique, et il
faudrait être idiot pour le consommer « pur ». Pour le
mettre dans un aliment, il faut le doser, afin que sa concentration
devienne inférieure à celle d'un vinaigre.
Cela
étant, il y a le mot « pur », qui est important, dans la
phrase précédente : en chimie, un produit « pur »,
cela n'existe pas, et il y a toujours des « impuretés ».
Celles-ci ne doivent pas être toxiques, évidemment. Mais il faut
ajouter, à ce stade, que la distillation de vin ne fait pas
nécessairement mieux que l'oxydation du butane. Et, enfin, ces
impuretés seront finalement diluées, comme l'acide acétique
glacial.
Donc
oui, certaines industries utilisent de l'acide acétique glacial,
parce que les services de l'Etat ont défini les conditions
d'utilisations, sans risque pour les citoyens. Inversement, non, nous
ne mangeons ni ne buvons pas d'acide acétique glacial, parce que
l'acide acétique, une fois dans des aliments, n'est plus glacial,
mais dilué... comme quand nous ajoutons du vinaigre dans une sauce
mayonnaise ou dans une marinade.
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