dimanche 21 juin 2015

Jeux de protéines

Il n’est pas certain que la production de viande suffise à humanité toute entière,  et des institutions variées se préoccupent aujourd’hui du remplacement des protéines animales par les protéines végétale. On apprend à produire des protéines à partir du pois, de la féverole, des lentilles, du soja… mais que fera-t-on de ces protéines ? Le Troisième Concours sinternational de cuisine note à note a montré, par les travaux des candidats, quedes préparations merveilleuses étaient possibles, mais je propose de considérer ici la question culinaire dans plus de généralités.Soit des protéines : elles se présentent le plus souvent sous la forme d’une poudre blanche, ou brune, ou même verte pour les protéines de chanvre. Quand on met 10 pour cent de protéines dans de l’eau (en pratique, une cuillerée de protéines pour neuf cuillerées d'eau), on reproduit comme un blanc d’oeuf pourvu que les protéines puissent coaguler,  car il est important de penser à leur fonctionnalité : on sait que certaines protéines peuvent coaguler à la chaleur, d’autres le font seulement  par l’action d’un acide, de la présure, etc. Si l’on cuit une solution de protéines coagulables dans l’eau, on obtient donc comme du blanc d’oeuf. Mais si l’on fouette une solution de protéines dans l’eau, on obtient une mousse comme un blanc en neige. Et si l’on cuit ce blanc en neige, par exemple au four à micro ondes pendant quelques secondes, alors il gonfle comme un soufflé. 

Très généralement, il est bon de considérer que toute recette classique qui comporte des protéines peut être transposé en des protéines végétales par exemple. Ne s'agirait-il donc que de refaire différemment ce qui a déjà été fait ? Le monde culinaire ne se satisfera pas de cette idée, même si la praticien est un peu augmenté, et les cuisiniers les plus créatifs voudront des préparations nouvelles. Ces préparations devront être fondées sur les propriétés physiques ou chimiques des protéines,  à savoir qu’elles peuvent épaissir un liquide si elles forment des micro-grumeaux, ou qu'elles peuvent servir à foisonner, ou à  émulsionner, ou à gélifier. De fait, n'importe quel liquide  peut être utilisé, et l’on parviendrait parfaitement à faire un soufflé de fraises à partir de jus de fraise et de protéines,  ou une sauce émulsionnée de truffe, à partir de jus de truffe et de protéines, et ainsi de suite… Toutefois, aujourd’hui, je propose de produire un matériau qui aura une parenté avec les tissus végétaux et que je propose d'appeler un "chatelier" en l'honneur de Henry Le Chatelier, qui énonça un le principe célèbre de thermodynamique selon lequel les systèmes évoluent par réaction à l'action qui leur est appliquée  : "Lorsque les modifications extérieures apportées à un système physico-chimique en équilibre provoquent une évolution vers un nouvel état d'équilibre, l'évolution s'oppose aux perturbations qui l'ont engendrée et en modère l'effet. ». 

Le Chatelier contribua également à l’exploration des ciments, des matériaux qui entrent dans la composition du béton. 

Et le plat nommé en son honneur ?  Il s’agit de reproduire un tissu végétal, où les parois cellulaires forment un réseau continu où des alvéoles, liquides ou gélifiées, sont incluses. On commencera donc par utiliser des protéines  avec un premier liquide, par exemple du jus d’orange et l’on fera prendre ce liquide en gelée. Par ailleurs, on utilisera ce polysaccharide nommé agar-agar que l'on l’ajoutera à du jus de citron, avant de chauffer. En refroidissant, une telle solution ferait un gel mais avant que la gélification n’ait lieu, on y dispersera la gelée d'orange broyée au mixer, en évitant évidemment que les fragments de gel ne fondent. On laissera l’ensemble reprendre et l'on aura de petits éléments gélifiés, l’analogue du cytosol des cellules végétales, dans la matrice d’agar-agar. 

Voudrait-on des poches liquides ? On pourra alors placer dans l'ensemble un morceau d'ananas cru à afin que les enzymes papaïnes diffusent dans le gel d’agar-agar, atteignent les poches de gel de gélatine, de sorte que la papaïne dégrade la gélatine et transforme ces poches de gel en poches de liquide. Et c'est ainsi qu'on aura toute la jutosité d'un fruit, d’une orange, dans une matrice au goût de citron. Je passe sur les détails « essentiels » à savoir sucrer, saler, changer éventuellement la couleur, ajouter une tuile (évidemment faite des protéines végétales) et puis aussi une belle assiette, une belle nappe et des fleurs posées sur la table. Des fleurs… artificielles ?


mercredi 10 juin 2015

Impressions à propos du Troisième Concours international de cuisine note à note

(document préparé avec le concours de François Duhil de Benazé)



Le 8 juin 2015,  s’est tenu à AgroParisTech la finale du Troisième Concours international de cuisine note à note, organisé par le Centre international de gastronomie moléculaire AgroParisTech-Inra. 

Une petite centaine de concurrents s'étaient inscrits au concours et 25 ont envoyé des recettes qui faisaient usage, conformément au règlement, de protéines (végétales ou laitières), de  polyphénols et d’octénol en solution dans l’huile. Ces ingrédients avaient été fournis par les organisateurs aux concurrents qui avaient évidemment le droit d'utiliser bien d'autres produits. 

Les critères d’évaluation étaient bien sûr la conformité aux règles techniques, c'est-à-dire l'emploi des produits envoyés, et aussi l'intelligence des travaux proposés, intelligence technique, intelligence artistique,  intelligence sociale, et encore : originalité, créativité... 

Certains concurrents ont fourni des travaux absolument extraordinaires,  et le jury a eu le plus grand mal à les départager. Le jury ? Il y avait des chefs, à savoir Thierry Méchinaud,  chef du Balzac,  le vaisseau amiral de Pierre Gagnaire,  et Nicolas Fontaine,  chef du Gaya de Pierre Gagnaire. Puis il y avait les représentants des partenaires, ces sociétés qui ont fourni des ingrédients aux concurrents, à savoir la société Ingredia, qui avait fourni des protéines laitières sériques (des protéines coagulantes), la société  Louis François qui a remis des lots aux gagnants, le Groupe d’étude et de promotion des protéines végétales (GEPV), qui a fourni des protéines de pois texturé, les éditions Belin qui ont remis des lots aux gagnants, et une société qui n’a pas voulu apparaître, mais qui a fourni l’octénol et a remis d’extraordinaires cadeaux aux gagnants. Enfin le jury comprenait les trois organisateurs : Odile Renaudin du site Enfance et nutrition, Yolanda Rigault et Hervé This. 

Une présélection avait été faite, et l’on avait retenu dix préparations, qui ont fait l’objet d’une exposition publique pendant cet après midi de finale. Certains concurrents étaient venus de loin : par exemple Tara Elliott représentait le groupe qui avait travaillé au Dublin Institute of Technology, en Irlande. Pour l’évaluation, chaque membre du jury est invité, séparément, à noter les divers candidats, et c’est la somme des notes qui a désigné le gagnant, à savoir Dao Nguyen, et son mari Pasquale, de Genève ; puis Olivier Herr et Elham Tehrani, et, enfin, Frédéric Clarembeau, de Belgique. 



Cette finale à été l’occasion de voir que,  progressivement,  les cuisiniers se familiarisent avec la cuisine note à note,  au point de fournir des recettes élaborées, qui peuvent maintenant être diffusées très largement, ce qui constitue une base utile pour tous ceux qui souhaitent se lancer dans cette nouvelle forme de cuisine.
Selon les commentaires de Thierry Méchinaud, ces ingrédients doivent être appris, c’est-à-dire qu’il faut les tester comme on testerait d’autres ingrédients plus classiques, afin de déterminer la bonne façon de les mettre en oeuvre.
La finale à été l’occasion de montrer repas effectué par Pierre Ganaire lors de la visite de journalistes du New York Times, à  partir de composés isolés tels le 1-cis-hexèn-3-ol, le gaïacol ou la piperine. Pierre Gagnaire a produit des plats en utilisant des ingrédients de toutes provenances. Les goûts étaient d’inouïe nouveauté, et, surtout, les plats préparés n'auraient pu exister sans les composés qui en ont constitué l'épine dorsale. Décidément, cette troisième édition du Concours international de cuisine note à note aura été un moment très important dans le développement de la cuisine, tant il est vrai qu'une nouvelle forme de cuisine apparaît maintenant, et s'établit plus fermement, jour après jour.


Pour ceux qui n'ont pas pu assister à la finale du Troisième Concours international de cuisine note à note

Voici un podcast :