dimanche 26 février 2017

L'agar-agar et le gibbs... ou plutôt le liebig

Ce matin, une question :

 "Est-il correct d'introduire de l'agar-agar en poudre dans un gibbs? Est-ce correct pour de la cuisine Note a Note?"

Commençons par le commencement : le gibbs. C'est une émulsion gélifiée chimiquement, que l'on obtient, par exemple, par coagulation des protéines qui servent de tensioactifs dans une émulsion. En pratique, on l'obtient de deux façons :
- cuisine classique : on fouette de l'huile dans un blanc d'oeuf ; puis on donne du goût à l'émulsion obtenue (couleur, saveur, odeur...) avant de passer au four à micro-ondes
 - cuisine note à note : c'est la même chose, mais au lieu d'utiliser du blanc d'oeuf, on utilise de l'eau et des protéines ; et les composés utilisés pour donner du goût doivent être purs.

L'agar-agar, dans cette affaire ? C'est un gélifiant physique, et non chimique, de sorte qu'il conduirait à un système différent, que j'ai nommé "liebig", et dont voici une recette : on dissout de la gélatine dans de l'eau, puis on émulsionne de l'huile ; le refroidissement fait prendre en gel.
Autrement dit, si l'agar-agar est effectivement un composé pur, utilisable pour la cuisine note à note, il est mieux approprié pour faire un liebig que pour faire un gibbs.

vendredi 24 février 2017

Reproduire la nature avec la cuisine note à note ? Non !


 Un "craintif" qui venait de découvrir la cuisine note à note  me demandait "A quoi cela sert-il de reproduire des carottes" ?

Il faisait référence à une série de deux diapositifs que j'avais projetées, et que voici :





Le discours qui leur correspond est le suivant. D'abord, je dis qu'une carotte (mais cela est vrai de n'importe quel ingrédient culinaire classique) est composée d'un grand nombre de molécules, appartenant à un certain nombre de catégories (que l'on nomme des "composés") : eau, cellulose, pectine, sucres, acides aminés... Dans la racine de carotte, ces molécules se sont disposées les unes par rapport aux autres d'une certaine façon, qui fait apparaître une carotte.
Mais si l'on dispose de ces composés séparément, on peut aussi les organiser différemment, et faire un objet bien différent d'une carotte. Tout aussi comestible, mais bien différent : et c'est la seconde image.

Notre "craintif" en a conclu que l'on voulait reproduire une carotte. Comment a-t-il tiré cette conclusion qui n'est pas la mienne ? Je ne sais pas... mais j'ai essayé évidemment de lui expliquer que, si l'on peut effectivement refaire une carotte, cela n'a guère d'intérêt, et il vaut mieux aller explorer des organisations différentes, pour produire des aliments nouveaux !

D'ailleurs, j'ai essayé de lui expliquer que la reproduction est  toujours critiquée : la photocopie de la Joconde ne sera pas la Joconde. Et même si l'on faisait "mieux" -par exemple avec un vernis qui ne soit pas craquelé-, on reprocherait à la copie... d'être une copie.


Oui, décidément, la cuisine note à note a mieux à faire que reproduire les carottes, les viandes, ou les vins (facile, dans ce dernier cas). Il y a l'enjeu de produire des mets nouveaux, et cela est passionnant.


Que conclure, à propos de notre "craintif ? Je suis hésitant. D'abord, l'expérience me montre que, de même que l'on ne fait pas boire un âne qui n'a pas soif, on ne parvient pas à rassurer des gens qui ont peur. Alors faut-il  perdre son temps à essayer ?  Je suis preneur de vos conseils...

mercredi 22 février 2017

Hier, lors du Congrès Chimie et Sens, à la Maison de la Chimie, l'équipe de Lenôtre, conduite par Guy Krenzer et Fabrice Brunet, a produit un déjeuner pour 1000 personnes qui incluait de la cuisine note à note.

Le menu :

Le tourteau au curry,
Déclinaison de carotte orange au parfum de mangue

Fondant de boeuf,
Mousseline de topinambour aux cèpes
Dirac fumé, sauce wöhler

Note à mousse, cacao, caramel, tuile caramel.



Bravo à l'équipe de cuisine !



Quelques explications : 
Pour le premier plat, de la poudre de carottes peut être utilisée, en plus de véritables carottes. Pour le parfum de mangue, un composé nommé  (E)-b-damascenone peut être utilisé. De l'acide citrique peut  l'acidité citronnée. Le carotène bêta donne une couleur orange

Pour le deuxième plat, du paleron a été cuit à basse température pendant 72 heures.
La sauce wöhler se prépare à partir d'eau, d'acide tartrique, de polyphénols (ici de Syrah), de glucose, d'amylopectine grillée, de collagène, d'huile et de 1-octène-3-ol.
Pour le dirac, des protéines ont été mêlées à de l'eau et à de l'huile, puis assaisonnées et cuites comme un surimi. De la cellulose et de l'amylopectine donnent de la tenue. Un composé odorant donnait la note fumée (gaïacol).

Pour le dessert, les mousses ont été produits au siphon, à partir d'eau, de glucose, de saccharose, de protéines d'oeuf. Des composés de la société Iqemusu ont fait les odeurs cacao et caramel.
Pour la tuile, il s'agissait d'un péligot de glucose avec de l'acide citrique.
On notera que le caramel est un produit qui s'inscrit parfaitement dans le cadre de la cuisine note à note.